mardi 22 juillet 2008

Un autre monde

J'ai CHOISI de travailler dans la fontion publique. Ou non, disons que le choix s'est imposé à moi, comme une évidence, je ne me suis jamais vraiment posé la question.
A Sciences-Po, quand il fallait choisir sa section, je ne me suis jamais demandé laquelle choisir. C'était une évidence, presque débile de me poser cette question.
Faut croire que ça existe encore les gens qui ont LA vocation du service public...
M'en foutais de savoir que ceux qui partiraient vers le privé auraient sans doute des salaires trois fois comme le mien, m'en foutais d'entendre ceux qui disaient tout ce qu'on dit habituellement sur les fonctionnaires. Parce qu'au final, je me disais que chacun fait de son métier ce qu'il veut bien en faire, dans la mesure de ses envies, de ses possibilités, etc.

Et j'ai commencé, en attendant les résultats de mes concours, dans une toute petite collectivité, et j'ai ressenti tout ce que j'aspirais à ressentir : les élus en prise avec des problèmes qui concernent vraiment les gens, les élus qui sont des gens comme les autres dans le village, et puis en quelques mois, j'ai appris tellement plus que pendant toutes mes longues études...
Alors que j'étais seule dans une mairie, dans un tout petit village. Les personnes âgées venaient me demander de remplir leur déclaration d'impôts, moi qui n'avais jamais eu à le faire pour moi, et quand ils revenaient, ils avaient une tablette de chocolat, essayaient de me glisser un billet pour me remercier, ou des courgettes de leur jardin, des salades, des poulets, enfin, j'avais l'impression de débarquer dans un autre monde, moi la citadine pur souche...
Un petit paradis.
Bien sûr, à chaque fois que le téléphone sonnait, je redoutais ce qu'on allait me demander, parce qu'au final, on ne sait pas faire grand chose quand on démarre, qu'on est seule, et que personne n'a été là pour nous montrer où trouver les choses, comment faire ceci ou cela, etc...
Mais j'étais quand même dans un petit paradis. Des querelles de voisinage, bien sûr qu'il y en avait, comme partout, mais je trouvais ça pittoresque, ça faisait partie du film que je me tournais dans ma tête.

Et puis j'ai eu les résultats de mon concours, alors j'ai recruté quelqu'un pour prendre ma suite, et j'ai filé vers plus gros...
Pas simple de réapprendre à travailler avec du monde. Pas simple non plus quand on est de très loin la plus jeune, qu'on a une toute petite voix et que pourtant, c'est dans le plus grand bureau qu'on s'installe...
Je suis tout sauf un chef. Ou en tout cas pas comme on se le représente.
Je me contrefiche de savoir si les horaires sont respectés scrupuleusement par chacun, tant qu'il y a au moins quelqu'un pour ouvrir aux horaires d'ouverture, je me fiche des demandes de congés, je leur demande juste de s'arranger pour que les services ne soient pas déserts, et pour qu'il y ait toujours quelqu'un au secrétariat. Le reste...
De toutes façons, quand bien même j'aurais envie de me mêler de ça, je n'aurais pas le temps.
Moi, ce qui m'importe, c'est que le boulot soit fait quand j'ai besoin qu'il soit fait, que l'ambiance soit bonne pour qu'on ne vienne pas au bureau la gorge nouée, le reste, je n'ai pas envie de m'en préoccuper.

Bref, je ne suis pas faite pour être chef dans une collectivité de notre taille.
Soit il faut que je fasse autre chose, soit il faut que j'aille dans plus gros pour avoir du personnel pour s'occuper du personnel.
Parce que moi, les petites histoires de personnes, les gens qui abusent de l'usage privé de l'ordi, tout ça, bon sang que je n'ai pas envie d'avoir à m'en préoccuper. Je le fais. Je fais le service minimum en la matière, mais si vous saviez comme j'ai horreur de ça...

M'enfin bref.
Pas de ça dont je voulais parler aujourd'hui.

C'est de l'autre hiérarchie dont je veux m'entretenir.
Les élus.
Je suis entrée dans la fonction publique pleine d'espoir, d'illusions, de motivation, enfin j'étais prête à déplacer des montagnes.
Et je n'aurais laissé personne dire "tous des pourris".
Parce que bon, faut le reconnaître, ils ne sont pas TOUS pourris.
Le souci, c'est que d'abord, je pensais que quelques pourris gangrenaient la chose et faisaient du tort à tout le monde.
Mais maintenant, je pense que l'exception, c'est ceux qui ne sont pas pourris.
Enfin je ne veux pas dire qu'ils sont pourris.
Mais simplement, je me rends compte que ce sont pour la plupart de sales gamins à qui on a donné des parcelles de pouvoir, et qui ne font pas honneur à ça.
Moi, petit bout de jeune (siiiiii) femme à la voix fluette, je me retrouve à arbitrer des querelles dignes d'une cour de maternelle entre des messieurs soi-disant respectables de plus de.... 50, 60, 70 ans...
Tant que c'est ponctuel, ça va.
C'est quand c'est devenu quasi permanent que j'ai commencé à perdre confiance en tout ça.

Notre collectivité est capable de miracles.
Parce que malgré ce qu'on dit des fonctionnaires, ici, tout le monde fait largement plus que ses heures, sans pour autant que ces heures supp ne soient rémunérées. Jamais.
Certains abattent clairement le boulot de deux personnes.
Et souvent, pendant leurs congés, ils viennent, parce qu'ils savent qu'il va y avoir un coup de bourre, tel ou tel jour, et qu'une personne de plus ne sera pas de trop.
Bref, ils ont des défauts, ça reste des humains. Certains râlent trop, d'autres parlent trop, mais au final, ils sont là quand on a besoin d'eux.
(enfin j'ouvre une parenthèse pour dire qu'il y en a quand même 3 qui ne méritent pas du tout ce que je viens de dire, et que je ne compte donc évidemment pas dans tout ce que je dis ici).

Donc je disais, on est capable de faire des miracles. On monte des opérations incroyables, on fait des trucs qu'on croit impossibles au départ, et puis tout le monde se démène, et on finit par y arriver.
Mais tout ça, sans l'ambiance qu'il y a dans les bureaux, et sans l'envie de faire en sorte que tout marche, on n'y arriverait pas.
Et bien tout est en train de se casser la figure. TOUT.
Parce que les élus préfèrent se chamailler à coup de réunions et de notes plutôt que de reconnnaître l'incroyable travail de ceux qui travaillent à la cause commune.
Alors on passe notre temps à gérer leurs querelles, à pondre des notes inutiles, qui ne servent que de munitions dans leurs batailles incessantes...
Au lieu d'avancer, on fait du sur place. On passe plus de temps à expliquer et justifier ce qu'on fait, qu'à faire.
Ca n'a plus de sens. Les gens sont démotivés. Jusqu'à récemment, j'arrivais un minimum à mobiliser les énergies restantes.
Mais là, moi même j'ai envie de baisser les bras devant tant de stupidité.
On est en juillet, et les réunions se multiplient à l'infini. Sauf que comme la moitié sont en vacances, ben on devra recommencer, les mêmes réunions, sur les mêmes sujets.
Pourquoi ne pas attendre septembre ? J'ai bien souvent posé la question. On me répond juste que ce n'est pas parce que c'est l'été qu'on doit tout mettre en sourdine.
Mouais.
Sauf que du coup, le retard pris, ben au lieu de diminuer un peu, il grossit, grossit, grossit, et menace de nous exploser à la figure.
Jusque là, ça me faisait faire des cauchemars, et maintenant, j'ai juste envie de dire "ben tant pis".
Ca me fait de la peine d'en être arrivée là, j'avais tellement envie d'abattre tous les murs... J'avais tellement envie de faire avancer les choses, j'avais tellement envie de croire, d'avoir confiance, de me dire que non, tout n'était pas immuable...
Mais plus j'avance, plus je me rends compte que les "vieux" élus ont un mépris éclatant pour les "jeunes" élus (quadra et quinqua), et un mépris encore pire pour les jeunes administratifs.
Et pour les jeunes en général.
Il ne se passe pas une réunion sans que j'entende "les architectes d'aujourd'hui, ils sont incapables d'avoir une réponse simple à un problème simple. Les anciens, eux..." ou encore
"Les jeunes, ça ne veut pas travailler, ça veut gagner des sous, mais se tourner les pouces. Quand on était jeunes, nous, on était content de travailler...".
Mais que font-ils de ceux qui veulent travailler ? Ben regardez-moi...
J'ai fait en moyenne 50h par semaine pendant des années, sans prendre mes congés, payées 35h, et au salaire d'un fonctionnaire, autant dire, j'ai donné beaucoup de temps, bénévolement, à la collectivité.
Personne ne me l'a demandé, je le sais.
Mais sans avoir besoin de dire merci, ils auraient au moins pu être assez intelligents pour s'en rendre compte et ne pas en arriver là.
C'est décevant. Ils vivent dans un autre monde.
Ce sont des petits élus de rien du tout dans le fond, mais ils s'imaginent être les personnes les plus importantes du monde.
Dernier exemple en date : je fais toute une présentation pour la réunion de ce soir. Au final, elle va être projetée avec en dessous, le nom du Président... Faut dire que je lui ai envoyé par mail. Il n'avait qu'à la reprendre, remettre son nom en dessous, et hop, faire croire qu'à son âge avancé, il maîtrise tout ça comme un chef.
A 65 ans... !!!
Si j'étais aussi bête que lui, avant de la projeter, j'effacerais son nom et je mettrais le mien.
Mais je ne ferai pas partie de ce monde, j'aurais trop honte. Moi.

Bon, je ne fais pas de racisme anti-vieux. Parce que dans mon personnel, j'ai notamment un adjoint qui frise la soixantaine. Et je vois bien qu'il n'est pas pareil. D'ailleurs, j'étais déjà là quand on l'a recruté. Pas forcément évident de devenir l'adjoint d'une femme qui a 30 ans de moins, après avoir été soi-même le chef...
Et je vois mon père aussi. 65 ans, et il passe le plus clair de son temps à intervenir bénévolement dans les associations d'aides aux jeunes entrepreneurs. Tout en militant activement pour le travail des séniors.
Tout le monde n'oppose donc pas les jeunes et les vieux.

Mouais, je garde encore un filet d'espoir. Mais j'ai peur que la fonction publique territoriale ait des soucis à se faire.
Les "anciens" DG, ils ont roulé leur bosse, ils n'ont plus longtemps à tenir. Mais les jeunes...?

Un de mes homologues, de mon âge, et qui était motivé comme moi, vient de prendre 6 mois de disponibilité pour s'envoler en Amérique du Sud et voir autre chose.
Un autre, toujours de mon âge, frise le burn-out et envisage de mettre fin à sa carrière pourtant brillante jusque là.
Moi............. Ben au moins, quand je vois que c'est pareil pour mes homologues masculins, au moins je me dis que ce ne sont pas les hormones qui parlent... Mais je sens aussi que je ne vais pas faire de vieux os ici.
Je ne veux pas brûler mes ailes.
Je vais aller tester mon enthousiasme, ailleurs, avec un autre public.
Pas tout de suite, on a besoin de mon salaire, je l'ai déjà dit.
Mais j'ai besoin de me dire que ça ne sera plus très long.

Et puis savez quoi ? Ben peut-être que je pourrais prolonger un certain congé mat à venir en prenant des congés, genre, ceux de 2002 ;-)))
Fallait pas me chercher.

6 commentaires:

Unknown a dit…

Peut-être un jour petite Caro pourrai-je t'expliquer à quel point je comprends, un jour sûrement... en attendant garde près de toi cette capacité de rêver, la seule chose qui ne se tient pas dans un tiroir, et qu'on ne garde pas, chez les patrons, quand on part. Bises!

Caro D a dit…

Moui, je vais faire de mon mieux... en attendant que tu me racontes ;-)
Je ne vais quand même pas leur abandonner ça, en plus du reste !

Anonyme a dit…

Chère Caro,
"Celui qui sait commander trouve toujours ceux qui doivent obéir."(Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance.)
Amitiés

Caro D a dit…

Salut Armand : pas faux. Mais tous ces hommes dont je parle, ils ne savent pas commander, ils s'autopersuadent juste que c'est ce qu'ils font. Bien sûr qu'il y aura toujours quelqu'un pour les suivre. Mais dans mon monde à moi, ils sont les éternels perdants. Et tant pis si mon monde à moi n'est pas très représentatif de la façon dont cette terre tourne. :-)

Anonyme a dit…

Ah Caro... tu viens de te faire lire par une fonctionnaire (en dispo), mariée à un fonctionnaire (qui bosse en moyenne plus de 50heures la semaine, sur un poste de cadre de niveau 2 alors qu'il est payé comme un cadre de niveau 1...)... mais bon. On est rentré aux "PTT" plein d'espoir... On a déménagé cinq fois... sans broncher... j'ai lu sur la plage, en Espagne, que la Poste allait être privatisée (sans blague!!!)... je me fais des cheveux blancs pour ma ré-intégration (ma quoi????... j'ai un ex-collègue cadre de niveau 3 en dépression... un autre qui doit dire bye bye à son statut de fonctionnaire si il veut garder la gestion de son bureau de poste... le monde tourne à l'envers... dans ma génération (presque quarante), il nous reste beaucoup d'années à faire... et peu d'espoir de les faire dans la fonction publique...
Je comprends tout à fait ton ami qui a pris une dispo...
Profite un max de ton congé maternité quand il se pointera... c'est ce que tu as de mieux à faire!!!!
Bisous!!!

Caro D a dit…

Ah ben que dire de ma génération alors Véro ;-))) Roooo, allez, je plaisante, j'ai à peine moins que toi finalement.
Quoiqu'il en soit, je ne tiens pas tant que ça à ce statut de fonctionnaire. Ce qui me plaisait dans mon métier, c'était de me dire que j'étais vraiment au service du public, dans le vrai sens du terme. Quand les gens râlaient que la Communauté de Communes ne sert à rien, je leur disais que sans nous, pas de voirie dans les communes, pas de réseau d'assainissement, pas de crèches, de relais d'assistantes maternelles, d'équipements sportifs, d'animations pour les jeunes, de centre aéré, de collecte des ordures ménagères, etc...
On n'a pas nécessairement ce rapport direct avec la vie quotidienne des gens dans une autre branche. Mais voilà, pour tout ça, il y a AUSSI les élus...
Tu veux rire, mon Président, c'est un ancien de la Poste... Suis pas sûre qu'il ait été de la trempe de Jenfi...
M'enfin ce que j'en dis...