mardi 21 septembre 2010

"Ne te fais pas remarquer"

C'est la petite phrase, toujours la même, toujours dans la même bouche : celle de ma mère.

J'ai pris beaucoup de recul, je suis capable de l'écouter me dire tout un tas de choses sans broncher, juste pour avoir la paix.
Je l'appelle le soir, sur le chemin du retour de la crèche, comme ça, je ne "perds" pas de temps.
Je rentabilise le trajet dirons-nous.

Mais parfois, c'est plus fort que moi. Les circonstances, mon humeur, tout ça.
Hier soir, c'était le cas.
Elle me demandait si Tinamour avait bien mangé à la crèche. Non, il n'a rien mangé, comme trop souvent à la crèche.
Elle a éclaté de rire.
Un autre jour, je serais simplement passé à autre chose. Mais juste là, non.
Parce que non, ce n'est pas drôle que mon fils ne mange pas.
Je suis restée calme mais lui ai néanmoins expliqué un peu la situation, pour qu'elle comprenne qu'elle n'est pas si hilarante que ça.

Mon fils et son reflux, ils n'aiment pas les choses à texture "entre deux".
Il peut manger des trucs "durs" : du pain, des biscuits, des chips, etc.
Il peut manger des trucs lisses : yaourts, compotes, purées, le tout mixé jusqu'à ce qu'il n'y ait plus le moindre petit morceau.
Mais tout ce qui est entre ça, ça ne passe pas.
Les morceaux de fruits, de légumes, le fromage, y a pas moyen.
Il essaye, mais ça ne passe pas.

Dans la section des petits, ce n'était pas grave, il continuait à manger comme les tout petits bébés.
Mais chez les grands, ça ne marche plus comme ça.
S'il mange, c'est bien, sinon, tant pis pour lui.

Pire que ça.
On m'a sorti la semaine dernière que dorénavant, c'est : "petit repas, petit goûter".
Oui, parce que jusque là, s'il ne mangeait rien ni à 10h ni à midi, il avait au moins un petit quelque chose en plus au goûter de 16h.
Maintenant, c'est fini. Mais en plus, 3 fois sur 4, au goûter de 16h, il y a aussi un truc qu'il ne mange pas.
Alors je le récupère le soir, il n'a rien mangé depuis son biberon du matin, si ce n'est un petit morceau de pain, et encore, pas si ce n'est pas prévu au menu du jour.
Il est toujours de bonne humeur, mais il a faim.
Très faim.
Et même s'il mange bien le soir, reste qu'il n'a pas assez mangé dans la journée pour que ça tienne la nuit.
Alors il se réveille, et crie "aaaammm !!!"
Ca me fend le coeur.

Mais tant que ce n'était que ça, j'acceptais.
Le hic, c'est que je remarque que son comportement vis à vis de la nourriture commence à changer.
Comme s'il commençait à associer le moment du repas à quelque chose de désagréable, de frustrant.

Et là, ça commence à me titiller sérieusement.
Parce que je sais les dégâts que ça peut occasionner. Je sais jusqu'où ça peut amener.
Et je ne veux pas de ça pour mon petit amour.
Je veux que le repas soit un chouette moment. Qu'il mange ou non. Mais que jamais il n'associe la nourriture à un enjeu.

Alors je ne sais pas trop quoi faire.

Je ne suis pas allée aussi loin dans les détails avec ma mère. Pas envie de débattre avec elle de sa façon de faire à elle. Puisque je suis aussi persuadée que c'est le pire qu'elle est persuadée que c'est le mieux.

Mais je lui ai quand même dit que je laissais passer encore cette semaine, mais que si rien ne changeait, je prendrai rendez-vous avec la directrice de la crèche pour trouver une solution, quitte à aller le chercher le temps du repas pour lui donner moi à manger.

Et c'est là qu'est sorti son "ne te fais pas remarquer".

Et c'est là que j'ai perdu mon calme.
"Ne te fais pas remarquer" ???? Mais ça veut dire quoi ça ?
A cause d'elle, je fais toujours tout ce que je peux pour ne déplaire à personne, je me plie en quatre pour entrer dans les places laissées par les autres, je me glisse dans leur vie et leur emploi du temps pour surtout ne pas déranger.

Je me soigne. Mais c'est dur de dépasser toute une éducation de ce genre.

Et j'ai laissé passer beaucoup de choses à la crèche, parce que je sais encore faire la part des choses entre l'important et l'accessoire.
Mais quand c'est la santé immédiate et future de mon fils qui est en jeu, je ne sais pas, moi, mais il me semble que j'ai le droit de penser que j'ai mon mot à dire.
Et que si je dois me faire remarquer pour ça, et bien je peux, non, je DOIS le faire !

Alors évidemment, ma chère maman m'a dit que ce n'était pas la peine de s'énerver comme ça avec les nounous de la crèche.

Mais comment te dire Maman ??? Je ne m'énerve pas avec les nounous de la crèche, je ne m'énerve qu'avec toi. Parce qu'il n'y a que toi pour m'exaspérer à ce point.

Parce que quand il s'agissait de me faire remarquer par mes bonnes notes, mes études, mes résultats sportifs, et tout ça, là, bizarrement, je ne l'ai pas entendue ta petite phrase fétiche.

Alors pour une fois, essaye de mettre les choses à leur place, de voir où est l'important, et surtout, Maman, surtout ne t'avise pas de rigoler la prochaine fois que tu apprendras (d'une autre bouche que la mienne, moi, je ne t'en parlerai plus) que Tinamour n'a rien mangé de la semaine à la crèche, parce que je ne suis pas sûre de ne pas me faire remarquer si tu fais ça.

Et puis tant qu'on y est, j'aimerais aussi que tu arrêtes de rire quand on te dit qu'il s'est levé à 4h, ou qu'il n'a pas dormi parce qu'il avait mal aux dents.

Que tu arrêtes de rire quand je te dis qu'il est malade.

Réserve donc tes rires pour les moments vraiment drôles. Tu sais, ces moments que tu fiches toujours par terre parce que tu ne peux t'empêcher de jouer la rabat-joie...

Tu sais ce qui serait vraiment bien ? Que tu arrêtes de te faire remarquer.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Hah, comme ta mère me rappelle la mienne!!! Genre je lui raconte au téléphone que la crèche a appelé en disant qu'on devait aller rejoindre notre fille à l'hôpital car elle était tombée et s'était ouvert le front, et ma mère, sans même demander si c'était grave ou comment ça allait, change de sujet et me raconte comment vont les fleurs de son balcon... je crois que c'est juste une incapacité totale à supporter les choses qui pourraient mettre en péril leur équilibre, c'est plus sûr de rire ou de changer de sujet que d'écouter. Même si
On se demande comment avec des mères aussi malades on a pu devenir aussi bien. Non? ;)
Non, sérieusement, garde ton énergie pour te battre contre la crèche, pour faire valoir ton point de vue, pour défendre tes convictions. Bon courage!
Speranza

Noisette Sociale a dit…

Wow, ta finale est savoureuse!

Je ne comprends pas par contre comment elle peut trouver ça drôle? On dirait que la souffrance l'amuse...

Mais avec ce que tu m'as dit chez moi et avec ce que j'ai moi-même vécu, je vois très bien le portrait.

Sinon, c'est trop triste que ton fils ne mange pas à sa faim à la crèche! Je ne vois pas en quoi vouloir régler le problème, c'est vouloir se faire remarquer!

Incroyable...

et bonne chance pour la suite!

Noisette Sociale a dit…
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Caro D a dit…

@ Speranza : mouais, il me semble effectivement, à travers ce qu'on a pu s'en dire, qu'elles ont quelques ressemblances...
Mais héhé, comme tu dis, on est devenu des filles bien, et toc !
Merci ma belle !

@ Noisette : Moui, ça l'amuse. Un peu comme si elle se réjouissait d'avoir une anecdote à raconter (amplifiée, transformée, mythomanisée...) ensuite pendant les heures quotidiennes qu'elle passe au téléphone...
Triste portrait, mais tu le sais.
Merci !

Anonyme a dit…

No comment pour ta mère.. .
Mais c'est la situation de Tinamour qui me fait mal au coeur. La crèche devrait pouvoir comprendre ce problème quitte à ce que tu fournisses la nourriture? un mot du médecin n'aiderait pas? S'il a besoin de temps pour manger de tout, que son reflux se calme, et bien qu'il le prenne!

Gros bisous à tous les 2.

Lenaig

Maylika a dit…

Un jour, on m'a dit que ma mère n'était pas méchante, qu'elle était limitée. Qu'elle faisait ce qu'elle pouvait, avec ce qu'elle avait... Qu'elle ne changerait jamais et que je devrais comprendre que sa capacité à aimer les autres se limitait à la capacité qu'elle avait de s'aimer elle-même. Bref, elle est incapable d'aimer.

Depuis, j'ai changé ma façon de la voir. Pour l'instant, j'ai complètement coupé les ponts parce que mes parents m'ont fait trop de mal et que j'ai trop de choses importantes à gérer sans ajouter à cela nos relations débiles. Tranquillement, je sens néanmoins mes sentiments qui changent... À cause du recul peut-être ou bien de la compréhension que j'ai maintenant de son handicap. Parce que c'en est un... Ma mère manque d'amour comme d'autres ont perdu un membre ou un sens...

Prends soin de toi... Parce que ton fils a besoin que tu sois forte et que tu te battes pour lui. Oublie ta mère, c'est un combat perdu d'avance... Choisis l'endroit où tu mettras tes forces.